Feuilles volantes découvertes pliées, insérées entre les dixième et onzième parties de Cendres : l’Histoire oubliée de la Bourgogne (2001) British Library.
Message n° 258
(Anna Longman)
Sujet : Carthage
Date s 04/12/00 à 17 : 19
De : Ngrant@
Adresse et format effacés ; autres détails codés par mot de passe personnel non identifié
Anna –
Le message d’Isobel répond-il à vos besoins ? Répondez-moi plus tard dans la journée. Ici, nous sommes occupés à un point que vous n’imagineriez pas ! Enfin, si, peut-être !
Tout le monde est très aimable avec moi et personne n’a encore signalé que rien de spécial n’autorise ma présence ici, sinon le « Fraxinus », et que je suis tout le temps dans les jambes des gens. Je crois que nous sommes tous trop surexcités pour nous en soucier. Un site sous-marin authentique, vierge, DOCUMENTÉ – même Isobel n’arrive pas à lui donner un autre nom que Carthage !
Anna, c’était la *dernière* partie du « Fraxinus me fecit ». Mon dernier passage traduit. Le manuscrit s’interrompt ici, visiblement inachevé.
Je ne peux répondre à aucune des questions qu’il soulève !
Le reste de la documentation historique retrouve Cendres, mais seulement au début janvier 1476/77. Nous ne saurons peut-être jamais pourquoi la partie sur le « siège de Dijon » nous donne une vision si peu conventionnelle de l’histoire européenne, et du personnage de Charles le Téméraire – par certains aspects, il s’approche beaucoup plus d’un portrait de son père, le duc Philippe le Bon –, mais lui est mort en 1467 ! Nous ne saurons peut-être jamais ce qui est arrivé à Cendres durant l’hiver qui a précédé sa mort à la bataille de Nancy, ni pourquoi ce texte place Charles à Dijon !
À la lumière des événements actuels, est-ce que ça a une *importance* ?
Je ne crois pas, maintenant, que je m’inquiète des résultats que l’équipe des métallurgistes va obtenir quand ils testeront à nouveau le « golem-messager ».
Supposons que la datation au carbone le situe durant notre moitié du XXe siècle ? Il n’est pas *totalement* impossible que quelqu’un d’autre ait lu avant moi le document « Fraxinus ». Pas plus qu’il n’est *totalement* impossible qu’on puisse fabriquer un faux « golem » – Isobel me dit qu’il existe un marché substantiel pour les faux archéologiques à destination des collectionneurs les plus crédules.
Carthage n’est pas un faux. Carthage est un fait.
Bien entendu, du point de vue archéologique, ce fait soulève un tas de questions. Ce site inondé a-t-il le moindre rapport avec les Libyo-Phéniciens qui ont colonisé la Carthage d’origine en 814 avant J. - C. ? Ont-ils touché terre ici, pour se déplacer ultérieurement sur le site terrestre qui a été mis au jour à l’extérieur de Tunis ? Cela paraît peu probable : cette Carthage n’est pas celle que les Romains ont mise à sac. Mais c’est la Carthage wisigothe.
Voyez-vous, Anna, j’ai postulé une colonie établie dans les années 1400 – et d’après les images du ROV, ce site apparaît déjà bien plus ancien que cela ! Peut-être s’agit-il de la Carthage vandale ? Ou peut-être est-ce un site wisigoth bien plus *ancien* ? Après tout, si une tempête n’avait pas coulé leur flotte en 416 après J. - C.., les Wisigoths espagnols auraient conquis la Carthage romaine treize ans avant que les Vandales n’en fassent autant.
Tant de choses – *tant de choses* à élucider, désormais.
Ma théorie initiale postulait une colonie médiévale tardive, à l’existence brève. Tout site occupé de façon continue, depuis 416 après J. - C.., nous pose un bien plus gros problème – je peux croire que « ma » colonie wisigothe sur la côte d’Afrique du Nord, d’une durée totale de quelque 70 ou 80 ans, puisse passer inaperçue, ou, du moins, qu’on puisse « balayer sous le tapis » les traces qui en subsistent, pour diverses raisons. Toutefois, neuf siècles et demi d’occupation continue apparaîtraient dans les chroniques arabes, même si les « Francs » réussissaient à l’ignorer ! Je vous accorde qu’il y a des dizaines de milliers de manuscrits islamiques médiévaux qui ont survécu, et que nombre de bibliothèques à travers toute l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient n’ont pas encore été entièrement cataloguées – mais aucune mention de 1 060 ans de Carthage ?! *Nulle part ? *
Il faut vraiment que j’en discute avec Isobel.
J’ai dit que nous étions tous enthousiastes – c’est la vérité, mais je m’attendrais à voir Isobel plus joyeuse. Elle semble troublée.
Je suppose que, si j’étais responsable de la confidentialité sur le site de la plus grosse découverte archéologique du siècle, je pourrais, moi aussi, paraître un peu défait et inquiet.
De nouvelles images nous parviennent du ROV à peu près toutes les cinq minutes – je reprendrai contact avec dès que possible –, c’est pas *formidable*, tout ça ?
— Pierce
Message n° 158
(Pierce Ratcliff)
Sujet : Cendres, manuscrit
Date : 05/12/00 19 : 19
De : Longman@
Adresse et format effacés ; autres détails codés par mot de passe personnel non identifié
Pierce –
Il y a un manuscrit.
Je voulais que vous soyez le premier à le savoir. Je suis allée à Sible Hedingham, j’ai parlé au frère du Pr Davies, qui a été d’une franchise remarquable avec moi, mais avant toute chose – IL Y A UN MANUSCRIT.
Ce n’est pas une œuvre inédite de Vaughan Davies.
C’est un original.
Pierce, je ne sais absolument pas si c’est important ou non. Je ne sais même pas si cela date de la bonne période. Ni si c’est un faux.
Son frère, William Davies, dit que Vaughan en parlait comme d’un « traité de vénerie ». La couverture qui y est fixée porte en effet une gravure sur bois d’un daim traqué dans les bois par des cavaliers. J’espère que vous ne serez pas déçu. Mes (maigres) connaissances en latin correspondent à l’Antiquité, et pas au Moyen Âge, si bien que je ne comprends pas grand-chose, sinon quelques références à « Burgundia ». Pour ce que j’en sais, le reste pourrait parler d’élevage de chiens ! J’espère que ce n’est pas le cas, Pierce. Je vais avoir l’impression de vous avoir laissé tomber, si c’est le cas.
William m’a autorisée à le scanner. Étant donné l’état dans lequel se trouve le papier, je ne suis pas sûre que j’aurais dû le laisser faire – mais je le devais. Il va contacter Sotheby’s et Christie’s. Je l’ai dissuadé de contacter la British Library pour l’instant, mais ce n’est qu’une question de temps avant qu’il n’insiste.
Si c’est un document authentique – important – voire utile, je peux utiliser cette découverte pour soutenir le projet commun de livre et de documentaire, sans faire intervenir tout de suite vos activités et celles du Pr Isobel sur le site sous-marin. Je comprends bien qu’elle a besoin d’une discrétion totale, pour le moment.
Je vais entreprendre de vous envoyer du texte scanné tout de suite après ceci. Je sais la pagaille qui doit régner là où vous êtes – vous êtes toujours sur le bateau, non ? –, mais dans quels délais pouvez-vous traduire ces premières pages ?!
Sa provenance, la voici :
Je me suis rendue en Est-Anglie avec Nadia, sous le prétexte qu’elle pourrait avoir envie d’acheter une partie du bric-à-brac qui restait. (Prétexte qui n’était pas faux, finalement : elle a bel et bien négocié certains objets.) William Davies s’est révélé un vieux monsieur charmant, un chirurgien à la retraite, ancien pilote de Spitfire ; j’ai donc été franche avec lui et je lui ai dit que j’étais votre directrice de collection et que vous étiez en Afrique, mais que vous prépariez une réédition du travail de son frère sur Cendres. (J’ai trouvé cette formule très délicate.)
Pour autant que j’ai pu le découvrir en discutant avec lui, William Davies n’a jamais eu beaucoup de rapports avec son frère avant l’arrivée de Vaughan à Sible Hedingham. Ils ont grandi dans une famille de la classe moyenne aisée, dans le Wiltshire. Vaughan est allé à Oxford, où il est resté. William est parti à Londres étudier la médecine, s’est marié et a hérité de la propriété de Sible Hedingham à la mort prématurée de son épouse. (Elle n’avait que 21 ans.) Après cela, il n’a vu Vaughan que pendant ses permissions de la Royal Air Force, et ils ne discutaient pas beaucoup.
Voici le peu d’histoire familiale qui nous concerne et que j’ai pu apprendre de lui : Vaughan Davies a quitté Oxford pour s’installer à Sible Hedingham à la fin des années trente. William se souvient que c’était en 1937 ou 1938. William était propriétaire de la maison, mais se préparait à rejoindre la RAF, et était disposé à la céder à Vaughan. En écoutant entre les lignes, j’ai eu l’impression qu’ils n’y auraient pas vécu ensemble – Vaughan semble avoir été un type insupportable. Il était en congé sabbatique d’Oxford, en train d’achever le manuscrit de « Cendres » pour le publier.
Selon William, Vaughan vivait alors en ermite ; mais personne au village ne s’en souciait guère. Je pense qu’il devait être très grincheux. De toute façon, en tant que nouveau venu, on ne l’accueillit pas à bras ouverts. Il a « embêté » (le mot est de William) la famille des propriétaires du château d’Hedingham pour y avoir accès, et s’est rendu insupportable ; à tel point qu’on l’a prié de partir.
Je crois que, pour William, ce manuscrit vient du château d’Hedingham.
À mon avis, il pense que Vaughan l’a volé.
Il n’a pas revu Vaughan Davies après la guerre, parce que Vaughan a disparu en 1940.
Je ne plaisante pas, Pierce. Il a disparu. Cet été-là, William a été abattu au-dessus de la Manche et il a passé un temps considérable à l’hôpital. Il porte encore des cicatrices de brûlures, on les voit. Le temps qu’il soit réformé pour raisons médicales, la maison de Sible Hedingham était abandonnée. Il y a eu les rumeurs habituelles à l’époque comme quoi Vaughan aurait été un espion allemand, mais tout ce que William a pu découvrir, c’est que son frère était parti à Londres.
Comme c’était la guerre, l’enquête de la police a été un peu légère. Maintenant, soixante ans ont passé, la piste est froide.
William dit qu’il a toujours supposé que son frère avait été pris sous le Blitz, tué dans un bombardement, son corps déchiqueté ou brûlé à tel point que le visage n’était pas identifiable. Il n’a pas hésité à me dire ça avec ces mots précis. Horrible. Peut-être est-ce le fait d’avoir été chirurgien.
William Davies vend la maison de Sible Hedingham parce qu’il va entrer en maison de retraite. Il doit avoir dans les quatre-vingts ans, à présent. Il est très vif. Quand il dit qu’il n’y a pas de mystère autour de la disparition de son frère, j’ai envie de le croire.
Non – ce dont j’ai *envie*, c’est de rentrer au bureau et de faire comme si rien de tout cela ne se passait. J’ai toujours aimé l’édition universitaire, mais à présent, j’aimerais qu’il y ait plus de distance entre l’histoire et moi. Tout ceci est désagréablement proche, je ne sais pas comment.
Ce que vous découvrez au fond de la Méditerranée – Pierce, si ce manuscrit est vraiment quelque chose dont nous avons besoin, je ne sais pas comment je vais réagir. En prenant mes congés annuels, pour partir dans les Keys de Floride et faire comme si rien de tout ceci n’était arrivé. C’est trop pour moi.
Non.
En tant que directrice de collection – en tant que votre amie – je serai ici. Je sais que vous ne pouvez pas faire une traduction instantanément, je sais que vous êtes occupé à examiner le nouveau site, mais pourriez-vous au moins me faire savoir avant la fin de la journée s’il s’agit d’un document précieux ou pas ?
— Anna
Message n° 270
(Anna Longman)
Sujet : Cendres/Wisigoths
Date : 05/12/00 22 : 59
De : Ngrant@
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Anna –
Bon Dieu. Même par fichiers séparés, ça prend *une éternité* à télécharger ! J’utilise l’autre ordinateur portable d’Isobel pendant qu’ils arrivent ; et je regarde la première page en ce moment même…
Il y a une chose que je peux vous dire tout de suite. Si ces images ont été scannées correctement, ce document est de la même main qui a écrit le « Fraxinus ».
Anna, je CONNAIS cette écriture – je peux la lire aussi vite que la mienne ! J’en connais tous les tics de phraséologie, d’abréviation et d’orthographe. Je devrais : voilà huit années que je l’étudie et que je la traduis !
Et en ce cas…
Alors, ce *doit* être une prolongation du « Fraxinus ».
« Fraxinus me fecit » est sans le moindre doute l’autobiographie de Cendres. Soit écrite, soit (plus probablement, étant donné son illettrisme) dictée par elle.
Si Vaughan Davies a eu accès à *ce* document, pourquoi n’en fait-il pas état dans sa deuxième édition des chroniques « Cendres » ? Certes, il n’avait pas le « Fraxinus », mais même ceci – le peu que j’en ai lu jusqu’ici – c’est clair, c’est évident, il s’agit de Cendres ; pourquoi n’a-t-il pas *publié* !
Codez le reste, et envoyez-le ; *peu importe* le temps que ça prendra à scanner et à télécharger, je m’en moque.
— Pierce
Message n° 277
(Anna Longman)
Sujet : Manus Sible Hedingham
Date : 10/12/00 23 : 20
De : Ngrant@
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Anna –
Ça *enchaîne* sur le « Fraxinus » – c’est une partie manquante du document – une *suite* – qui couvre l’automne 1476 11 ! Mais je ne sais pas combien elle en couvre !!!
À l’évidence, il manque une ou deux pages au début – peut-être arrachées au long des cinq cents ans qui ont passé –, mais je ne pense pas qu’il nous manque plus de quelques heures du 15/11/1476 !!
D’après les éléments internes du texte, ces événements doivent s’insérer dans la même période de 24 heures que la première entrée de Cendres dans Dijon ! Ou en tout cas, pas plus tard que le lendemain. Étant donné la correspondance des détails d’habillement et de météo dans le manuscrit « Fraxinus », ça DOIT se passer quelques heures à peine après l’entrevue de Cendres avec Charles de Bourgogne, et on est donc le 15 novembre 1476.
Je ne crois pas qu’il puisse manquer quoi que ce soit, à part un appel aux armes initial !
Y avait-il quoi que ce soit d’écrit sur la reliure (ou ce qu’il en reste) et pourrait-on le scanner ?
Plus tard :
Voici la première partie, c’est un premier jet, j’arrangerai tout ça plus tard. Je suis dessus depuis cinq jours sans arrêter. Je n’arrive pas à *croire* ce que nous avons ici !
— Pierce